Les start-up de la mer (épisode 1) : la filière algues
0 commentaire Marie MEHAULT
14 déc. 2017Vous pouvez les voir s’activer sur le littoral français, aux horaires de marées basses : qui ça ? Les travailleurs de la filière algues, un secteur tout jeune en France, mais qui inspire aujourd’hui quelques start-up qui font de l’Hexagone un pays pionnier dans le travail, la revalorisation et la commercialisation de cette matière première longtemps ignorée, souvent boudée, et pourtant tellement prometteuse. Elle garnit aujourd’hui nos assiettes et se consomme en salade, mais aussi en tartare ou en chips. Elle se retrouve aussi sous forme de gélules en guise de compléments alimentaires, en granulés pour animaux, en engrais ou en produits de beauté. Elle peut encore servir à fabriquer des objets du quotidien : c’est le cas des produits fabriqués par une entreprise de Saint-Malo, en Bretagne, Algopack : « on fabrique des clés USB, des pots, des urnes funéraires en 100% algues, et toute une gamme d’objets également, dans une sorte de plastique aux algues, souple, résistant, facile à colorer », explique Xavier Lemétayer, responsable de production.
La micro-algue est aussi de plus en plus utilisée dans l’agriculture… autre secteur porteur alors que les produits chimiques comme le glyphosate sont de plus en plus controversés. Ainsi, depuis le mois de juin 2017, dans les vignes du Médoc, on peut voir des producteurs de grands crus pulvériser sur leurs pieds de raisin des produits à base d’algues…. Résultat : zéro mildiou cette année. L’efficacité de l’organisme aquatique contre le champignon a d’abord été démontrée en laboratoire et validée par l’INRA, avant de devenir la base de multiples applications pour les producteurs. « Les résultats sont enthousiasmants : 100 % d’efficacité sur le mildiou, 50 % sur le botrytis, et 90 % sur d’autres champignons responsables de dégradations des vignes. Les enjeux sont énormes pour la France. Ces outils d’origine naturelle et biodégradables pourront sans doute permettre à terme, de doter les agriculteurs français d’outils efficaces qui pourront peut-être permettre de supprimer les pesticides chimiques dont certains sont réputés cancérogènes », espère Laurent De Crasto, co-fondateur de l’entreprise ImmunRise Biocontrol.
Dans la gastronomie aussi, l’algue a fini par se faire une place de choix : les chefs en font des condiments, pour agrémenter toutes sortes de plats et même des desserts, avec des algues au goût de réglisse, ou à la saveur particulièrement sucrée. Marinées au jus de citron, en taboulé, en pickles… la demande des clients est de plus en plus forte : aujourd’hui dans les cuisines des grands restaurants de France, comme depuis des centaines d’années dans celles du Japon, l’algue ne suscite plus la grimace mais l’engouement. Hyper protéinée, régulatrice des cycles du sommeil, productrice d’énergie, boosteuse d’immunité, riche en fer, en vitamine A et en minéraux, elle possède mille vertus, exploitées désormais par la médecine et la pharmacie.
Sous forme de paillettes, de comprimés ou de pâtes, la spiruline est ainsi considérée aujourd’hui comme super aliment, et qualifiée d’algue miracle. Dans les magasins depuis 5 ans, elle a envahi les rayons, au prix de 150 euros le kilo, voire davantage. Mais son prix ne décourage pas les clients : la demande explose. A l’origine, elle pousse naturellement dans les eaux chaudes et douces du Tchad ou de la Chine, mais en France, une centaine de producteurs (deux fois plus qu’il y a 5 ans) se sont mis à la cultiver sous des serres qui reproduisent les conditions d’un lac avec mouvement, lumière et chaleur. « On a recréé le milieu avec du bicarbonate, du phosphore, des nutriments, de l’azote, du potassium, du fer, des oligo éléments… ils se retrouvent ensuite dans les gélules ou la poudre vendus aux consommateurs, qui en bénéficient », explique Dominique Guérin, cultivateur en Eure-et-Loire, depuis 3 ans.
L’activité du secteur est exponentielle : les débouchés sont encore nombreux, les potentiels immenses, et les avancées importantes dans la recherche et développement, pour aller vers une culture intensive et totalement maîtrisée : « nous sommes trop dépendants aujourd’hui des éléments et de la météo, qui impacte facilement la qualité des algues, en fonction de l’ensoleillement et de la hausse ou de la baisse de la température de l’eau, qui altèrent vite la qualité du produit », raconte ainsi Alexandre Coleno, co-gérant de la société Bret’Alg à Roscoff, dans le Finistère.
Pour l’instant, il privilégie la récolte en milieu naturel, beaucoup moins chère, mais il travaille sur un nouveau modèle de culture en bassin, confidentiel : « il commence à y avoir de la concurrence, donc on garde le secret sur nos installations, parce qu’on est quasiment les seuls en Europe à en avoir ce type de process…. Pour le moment c’est donc très confidentiel ». A Roscoff, il travaille en collaboration avec les scientifiques de la station de recherche biologique. « Ces entreprises-là, elles vont se développer très vite parce que c’est une filière d’avenir, et donc elles vont avoir de plus en plus de besoins en volumes : demain, on parlera en dizaines de milliers de tonnes, et le milieu naturel ne suffira plus. Pour certaines espèces, la demande risque même un jour de menacer l’équilibre du littoral, il devient donc urgent de développer l’algoculture. Pour certaines espèces, cela fait 20 ans que nous travaillons sur le sujet », analyse Philippe Potin, biologiste marin, coordonnateur d’un programme européen.
C’est clair : les algues stimulent aujourd’hui l’imagination des chercheurs et des jeunes chefs d’entreprises français. Le marché ne pèse que 500 millions d’euros aujourd’hui en France, mais il est prometteur et la Bretagne est la région la plus innovante, sur le sujet. Les entreprises liées à ce « légumes de la mer » sont quatre fois plus nombreuses en 2017 qu’il y a trente ans, et elles emploient déjà aujourd’hui 2000 personnes… mais ce chiffre est appelé à être multiplié par 10, sans aucun doute, dans la décennie qui vient…. Car face au succès, les PME sont en train de devenir leader sur le créneau. Beaucoup parient sur un large développement des structures et sur l’existence de multinationales spécialisées à moyen et long terme.