Quelles seront les conséquences du Brexit pour les pêcheurs français ?

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Alors que les négociations sur le Brexit, c’est-à-dire les conditions du divorce entre Londres et l’Union Européenne, doivent reprendre en janvier 2018 entre Theresa May et ses homologues européens, l’horizon pourrait bien s’assombrir pour les pêcheurs français. Déjà, en juillet 2017, le Royaume-Uni annonçait vouloir quitter la convention de 1964 donnant accès à son espace maritime. Un coup de semonce. A Port-en-Bessin, premier port de pêche normand, on ne parle plus que de ça. Les professionnels du secteur redoutent les conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. « Tout le monde est inquiet, bien sûr. Si on ne peut pas aller pêcher dans les eaux britanniques, où est-ce qu’on va aller ? Les eaux françaises ne vont pas suffire », estime ainsi un membre du Comité Départemental des Pêches Maritimes et des Elevages Marins du Calvados.

 

Dans le cadre des accords de l’Union Européenne, les eaux sont en effet pour l’instant très largement  partagées… et les pêcheurs français peuvent sans problème travailler près des côtes britanniques, y compris celles qui sont opposées au rivage français, de l’autre côté des îles britanniques, face à l’immensité de l’Atlantique. Mais avec le Brexit, le Royaume-Uni reprendrait le contrôle de ses eaux, et en interdirait l’accès tout en mettant en place des quotas pour tout le pourtour de la plus grande île (Ecosse, Angleterre et Pays de Galles), et la partie côtière nord-irlandaise de la plus petite des deux îles. Ce qui ne laisserait plus aux Français que l’accès aux eaux d’Irlande (Eire). En clair, un périmètre divisé par cinq, ou six. C’est en tout cas ce que veulent les syndicats de pêcheurs britanniques et leur ministre, Michael Gove. « Il faut qu’on reprenne le contrôle de nos eaux territoriales », justifie Lasse Gustavsson, qui dirige la branche européenne de l’Organisation Non Gouvernementale Oceana, engagée dans la lutte contre la surpêche. « Les quotas européens sont trop élevés, le Brexit représente donc une vraie opportunité pour le Royaume-Uni : cela va lui permettre de revitaliser son industrie de la pêche, de stabiliser les écosystèmes menacés et de créer des milliers de nouveaux emplois. Avant, nous avions la plus grande réserve de poissons du monde, et les autres Etats sont venus puiser dans nos stocks. Et appauvrir nos ressources ».

 

De fait, 20% de la pêche française se fait dans la partie britannique, et même 80% des tonnages dans certains ports. « Modifier les règles c’est inenvisageable pour nous, ce serait une vraie catastrophe », analyse l’European Fisheries Alliance, une nouvelle coopération mise en place justement pour surveiller l’évolution des négociations sur la pêche, et qui regroupe des pêcheurs français, mais aussi allemands, belges, danois, espagnols, irlandais, hollandais, polonais et suédois. « Dans un temps très proche, puisque le Brexit doit prendre 2 ans, la fin de la pêche dans les eaux britanniques pourrait diminuer de moitié les profits des pêcheurs. Cela pourrait menacer près de 3000 emplois à plein temps sur les navires ». « On perd la moitié de notre terrain de chasse, la moitié de la Manche et de la Mer du Nord », poursuit Bruno Margollé, président de la Coopérative maritime d’Etaples dans le Pas-de-Calais. Les pêcheurs des Hauts-de-France, tout comme les Normands, sont eux aussi extrêmement inquiets. « D’une part les bateaux qui travaillaient là bas ne pourront pas travailler, et surtout, tout le monde va se retrouver dans la même zone, qui sera confinée ».

 

A Concarneau, Rostock, Zeebrugge, Gdansk, Galway, les acteurs de la filière halieutique redoutent de ne plus avoir accès à ces régions maritimes riches en poissons. Il faut dire qu’en 2017, un tiers de la pêche européenne provient des eaux britanniques. Le CNP (Comité National des Pêches) estime que pour sa part, l’hexagone dépend à hauteur de 30% de ces zones de pêches et même la moitié des ressources des pêcheurs bretons. Selon le Conseil économique et social de Bretagne, qui a fait réaliser une étude sur le sujet au mois de décembre 2017, « une fermeture de ces zones de pêches présenterait un risque économique majeur pour la région ». Avec quasiment 500 000 tonnes de poissons pêchées chaque année, le secteur pèse encore un poids non négligeable dans l’économie française : son chiffre d’affaires est évalué à 1 milliard d’euros.

 

Pire, selon un rapport du Centre de la mer, le Royaume-Uni n’est pas en capacité de pêcher la totalité des quotas autorisés dans ses eaux. Pour comparaison, depuis 15 ans, ils n’ont pêché « que » 92 000 tonnes de poissons et fruits de mer par an dans leur périmètre, tandis que les autres pays européens y pêchaient 7,5 fois plus (700 000 tonnes annuelles). Alors la partie est-elle perdue d’avance ? Pas forcément : le Royaume-Uni est aussi très dépendant du marché européen, les marins britanniques consomment assez peu leur propre pêche et en exportent une grande partie. Certains plaident donc pour une sortie de l’Union plus nuancée, et pour une répartition des quotas plus équilibrée : « Les Britanniques exportent à 70% le produit de leur pêche en saumon, homard, noix de Saint-Jacques, crabes etc… », résume l’European Fisheries Alliance. « Il est peu probable que les pêcheurs français n’aient plus accès à la zone anglaise. Il y aura des accès, mais selon des conditions négociées directement avec nous », explique Barry Deas, de la Fédération Nationale des Organisations de Pêcheurs britanniques (NFFO).

 

Les négociations s’annoncent mouvementées. En tout cas, le gouvernement français a prévenu : la pêche française ne sera pas une variable d’ajustement du Brexit. Il faudra la traiter en même temps que tous les autres sujets mis sur la table, par les partenaires européens.

 

 




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