L’économie bleue : un potentiel méconnu qui pèse 14% du PIB français
0 commentaire Marie MEHAULT
28 nov. 2017Il y a quelques jours, les Assises de l’économie maritime avaient lieu au Havre, tandis que dans le même temps, les maires des communes françaises, réunis en Congrès, rappelaient à quel point les activités de la mer pèsent lourd dans le dynamisme de très nombreuses communes hexagonales : on en parle peu, et cette filière du tissu entrepreneurial français est méconnue du grand public. Pourtant, elle permet depuis des années de relancer les territoires du littoral. Les activités de la pêche, le transport de marchandises et de voyageurs par la mer, la construction navale : voilà, entre autres, ce qui constitue les maillons de ce que l’on appelle aussi « l’économie bleue ».
Aujourd’hui en France, les trois quarts des échanges extérieurs – 90% d’entre eux – passent par les grands ports maritimes du pays. L’espace maritime français est le deuxième plus puissant du monde : car malgré la petite taille de la France au regard des surfaces du globe, nous possédons 11 millions de kilomètres carrés de côtes… c’est énorme ! Et cet espace maritime génère près de 300 milliards d’euros de recettes, injectées chaque année dans l’économie française. A titre de comparaison, c’est le triple de ce que rapporte le marché de la construction automobile, c’est six fois plus que ce que rapporte le secteur de l’aéronautique, et pourtant on en parle davantage que de l’économie maritime, qui pourvoit au quotidien près d’un million d’emplois et représente un septième (14%) du Produit Intérieur Brut français.
Lors des Assises des économies de la Mer, le 21 novembre 2017, Edouard Philippe, longtemps maire du Havre, a insisté sur l’importance de la mer dans les grandes conquêtes, depuis Jules César jusque Napoléon en passant par Colbert ou Louis XIV. Le premier ministre, issu d’une famille de dockers puis de négociants en coton, « la mer est la condition du développement économique et humain. La mondialisation, toujours, commence et finit dans un port. On a autant besoin de la mer et des fleuves que de la terre et des rails. La mer, ce sont des métiers et des connaissances que l’on n’a jamais vraiment fini de transmettre ». Il a présenté lors de ces Assises, une nouvelle stratégie portuaire pour la France, alors que la filière stagne à 1% de croissance quand elle pourrait faire beaucoup mieux, et que la pêche en France est en déclin évident : le nombre de poissonneries françaises a baissé de 20% en 10 ans, et qu’aujourd’hui nous importons près de 90% de notre poisson.
« Nous avons 5 ans devant nous, et en 5 ans on peut rattraper beaucoup de retards, lever pas mal de verrous, trouver beaucoup d’énergie. Choisir l’ouverture, l’audace, regarder le monde droit dans les yeux et nous tourner vers le large. Parce qu’un domaine maritime s’aménage comme un vrai territoire. Parce que la mer est un magnifique projet à proposer aux jeunes Français. La mer, c’est toujours une histoire d’équipage », a poursuivit le chef du gouvernement. « Nous avons réuni un comité interministériel de la Mer, un CIMER, pour la première fois aussi tôt dans l’histoire d’un quinquennat. Nous avons la conviction que ce sujet doit faire l’objet d’une attention constante. Pour aller loin il faut partir tôt ».
La France n’a, aujourd’hui, pas la place qu’elle mérite, ni la compétitivité nécessaire, pour bénéficier d’un trafic portuaire à la hauteur de sa façade maritime, de son marché intérieur et de sa place en Europe. Anvers, en Belgique, est en train de devancer les ports français en matière d’économie maritime, « il faut donc bouger vite, et pas qu’un peu, parce que sans port puissant, pas de puissance maritime, pas d’industrie maritime, pas d’emploi, pas d’avenir pour Le Havre, Marseille, Dunkerque, et pas de France dans la mondialisation ». Le premier ministre a donc proposé un plan en trois volets pour booster l’économie bleue en France.
D’abord, pour un système portuaire plus cohérent, il propose de renforcer l’axe Seine avec un pilotage unifié des trois ports du Havre, de Rouen et de Paris, d’ici au mois de février 2018. Deuxième objectif : mieux articuler la coopération entre les ports de la façade méditerranéenne, le long de l’axe Rhône et Saône, entre Marseille et Lyon notamment, d’ici l’été 2018. Il veut, en troisième lieu, dynamiser l’axe nord en améliorant la complémentarité entre Dunkerque et Calais pour en faire la « tête de pont » du nord de l’Europe. Enfin, il souhaite pourquoi pas ouvrir le débat sur une privatisation des ports nationaux qui se situent hors des circuits de trafic mondiaux, ou leur rattachement aux régions plutôt qu’à l’Etat.
Pour le CMF (Cluster Maritime Français), organisateur de ces Assises Maritimes, « la dernière révolution économique et industrielle était celle d’internet… la prochaine sera maritime, car la mer est à la croisée de tous les secteurs de l’économie et répond à tous les besoins de nos modes de vie actuels : alimentation, transition énergétique, santé, transports, loisirs… ». Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), la mer pèse aujourd’hui 1500 milliards de dollars dans l’économie mondiale, mais ce chiffre est amené à doubler dans les 10 ou 15 ans qui viennent pour atteindre les 3000 milliards de dollars en 2030 !
Avec une nécessité croissante de mesurer l’exploitation des ressources et de la raisonner pour protéger l’environnement maritime, de nouveaux secteurs de pointe sont en train d’émerger au sein de l’économie bleue, directement liés à la sécurisation des espaces, à la protection des espèces, au développement durable, à la recherche et développement pour trouver de nouvelles énergies propres et responsables. Dans son dernier rapport, le GEEM (Groupe des Experts de l’Economie Maritime) rappelle que la mer doit continuer à occuper une place fondamentale en France, alors que le littoral est un espace de plus en plus sous tension : selon le président du GEEM, l’armateur Philippe Louis-Dreyfus, « il faut aujourd’hui une vision plus claire, plus dynamique sur de nombreux atouts que la France possède dans le secteur. L’économie maritime française devrait être une priorité pour nous tous et nous devrions nous engager davantage afin de mieux exploiter tout son potentiel et contribuer à son rayonnement ». A la clé : des milliers d’emplois maritime supplémentaires.