Le transport fluvial : une richesse méconnue de France (partie 2) : dans les coulisses du port de Rouen

Temps de lecture : 5 minutes

L’orge, le blé, le millet, le maïs…. Les dockers du port de Rouen ont pris l’habitude de désigner les marchandises qui transitent dans la capitale normande comme « l’or jaune » de la ville : Rouen est  le premier port d’exportation du blé européen, et l’on y voit croiser chaque jour les plus gros navires, venus des quatre coins du globe. Ils viennent ici pour s’approvisionner. D’énormes quantités chargées et déchargées au fil des arrivées et des départs : des milliers de tonnes par bâtiment naval.

 

Les récoltes arrivent ici en péniche, avant d’être exportées : « on peut faire 5000 tonnes par jour déchargées, à peu près 5 jours sur 7 dans l’année, donc environ 8 millions de tonnes annuelles », explique Julien, conducteur de grues et de portiques sur le port. C’est-à-dire la moitié des exportations de blé effectuées par la France. Il faut dire que Rouen est une plateforme idéalement placée pour les entreprises spécialisées : au carrefour des plus grandes régions productrices de céréales dans l’hexagone, au carrefour aussi de la Mer du Nord, la Manche, l’Atlantique et la Méditerranée.

 

« C’est ici qu’arrivent les céréales de Normandie, de Picardie et d’Ile-de-France », explique le délégué céréales du Port de Rouen. « C’est l’un des seuls ports au monde qui soit à la fois au carrefour de plusieurs mers et océans, et au milieu des champs ! Il bénéficie donc d’une forte production de blé et d’orge à très faible distance. Cela permet un acheminement très rapide des marchandises, et nous derrière nous avons sur le port le plus grand centre de stockage de céréales d’Europe. Des silos qui font plus de 70 mètres de haut, bien plus hauts que l’Arc de Triomphe à Paris, pour l’idée de grandeur ! ».

 

Près d’un million de tonnes de céréales restent stockées dans ces tours démesurées, pendant un mois et demi en moyenne, avant de repartir. « Le fret maritime a de l’avenir, tout simplement parce qu’il est sans commune mesure avec le transport terrestre en termes de coût », explique ainsi la direction de Sénalia, l’un des acteurs les plus importants de l’activité sur le port, et l’un des principaux investisseurs en matière d’équipements, avec des portiques qui coûtent plus de 2 millions d’euros chacun, mais permettent une logistique bien plus efficace et là encore, moins coûteuse au final. « Le transport par poids lourd coûte environ 15 euros de la tonne, tandis que par voie maritime les coûts descendent à 8 euros la tonne, donc quasiment la moitié. Sur des dizaines, des centaines de milliers de tonnes par an, la différence est énorme ».

 

Les deux plus gros clients mondiaux sont l’Algérie, très grande consommatrice de pain, et la Chine, pourtant elle-même plus grande productrice de blé au monde ! « Si les Chinois viennent malgré tout chercher leurs céréales en France, c’est parce qu’elles sont réputées pour leur grande qualité », explique le délégué céréales du Port de Rouen. « Les autorités chinoises ont, paradoxalement, un niveau d’exigences très élevé sur la qualité sanitaire des produits importés, supérieur au niveau de qualité des produits exportés. Pour nous adapter à l’arrivée de navires de plus en plus gros, nous avons même du creuser le sol de nos canaux avec des bateaux spéciaux qui draguent le fond depuis le cœur de ville de Rouen jusqu’au port, et ainsi nous avons baissé le niveau d’un mètre de profondeur sur plus de 120 kilomètres de voies d’eau ».

 

Ainsi, le port de Rouen s’adapte et se modernise en fonction de la demande, qui va croissant, et des clients du monde entier, de plus en plus nombreux, et de pays de plus en plus lointains : « grâce à ces travaux, nous avons creusé le fleuve plus profond et notre capacité à naviguer a été démultipliée. Aujourd’hui nous recevons des navires qui chargent en moyenne 30 à 35 000 tonnes de marchandises, avec ce mètre d’eau nous espérons pouvoir recevoir des navires aptes à charger de 40 à 60 000 tonnes », explique la direction des travaux maritimes du port.

 

Des travaux sont aussi en cours sur 200 mètres de quais, pour construire un nouveau silo dédié aux céréales. C’est un groupe familial indépendant, le groupe Beuzelin, une société implantée à Beaubray et spécialisée dans la collecte et la commercialisation de céréales, d’oléagineux, de protéagineux et de pulses, qui a investi sur le site, à hauteur de 25 millions d’euros. 30 personnes y travaillent chaque jour, et une quinzaine d’autres seront embauchées à terme : « on pense que 12 à 15 personnes seront recrutées pour travailler sur ce site, ce sont de nouvelles embauches, de vraies créations d’emplois, avec des métiers variés, comme des techniciens du grain, ou encore des grutiers, des experts qualité, des manutentionnaires…. », explique Florian Beuzelin. « Avec ce nouveau silo, très moderne, qui possède son propre système de filtrage des poussières et des cellules de stockage optimisées, nous espérons générer un trafic annuel de 500 000 tonnes par an. Nous espérons aussi doper les importations de certaines céréales et certaines graines dont la France est de plus en plus consommatrice, mais que nous produisons encore de manière déficitaire dans le pays ».

 

Le port de Rouen est un poumon économique en Normandie, et y emploie pour l’heure 18 000 personnes. Un chiffre qui pourrait doubler, d’ici à 10 ans, grâce à ce type d’investissements et aux dynamiques vertueuses qu’ils permettent de créer. D’autres entreprises seront incitées à investir sur place. Et le boom des tendances vegan, végétariennes, et plus généralement la consommation de plus en plus importante de produits d’origine végétale, devraient contribuer à accroître la croissance de ces secteurs… peut-être même, à terme, à voir fleurir d’autres ports céréaliers comme celui de Rouen, sur les côtes françaises, avec les embauches par milliers forcément associées à de tels projets.

 

 




0 commentaire

A lire également

Ce site utilise des cookies pour vous offrir le meilleur service. En poursuivant votre navigation, vous acceptez l’utilisation des cookies.En savoir plusJ’accepte