Le transport fluvial : une richesse méconnue de France (partie 1)
0 commentaire Marie MEHAULT
14 mai 2018Avec ses 8500 kilomètres de voies navigables, ses 3600 kilomètres de canaux, la France possède un atout rare et envié de bien des pays d’Europe et du monde : la possibilité de pouvoir presque tout transporter, presque partout, par les fleuves et jusqu’à quatre mers et océans différents… notre pays possède le plus long réseau fluvial d’Europe et près de 3500 kilomètres de côtes : la France est le second pays au monde pour ses surfaces maritimes (zone économique exclusive) : 11 millions de kilomètres carrés au total, avec les territoires d’outre-mer.
Matériaux de construction, ciment, sable, bois, céréales, objets divers venus du monde entier : le transport de marchandises par les fleuves ne représente encore que 4% de la totalité des marchandises transportées, mais la grève SNCF et les répercussions sur le fret ferroviaire et les producteurs de blé, d’orge, de millet et autres graminées le montre (voir notre article) : le développement du transport sur l’eau sera forcément intense ces prochaines années, et le potentiel est immense. La France est le premier producteur de blé, d’orge, et d’amidon en Europe, le numéro 1 mondial de la production et des exportations pour le malt et le maïs. La filière céréales emploie déjà 450 000 personnes en France, mais ces embauches pourraient se démultiplier dans les décennies qui viennent avec l’expansion du transport fluvial de marchandises.
« Le secteur dispose d’une marge de progression plus que confortable, et toute tracée, c’est quasiment écrit », explique l’Observatoire du Transport Fluvial de la direction territoriale des Hauts de France. « C’est de plus en plus une réelle alternative au transport routier, dont les corridors sont de plus en plus encombrés. Le fluvial pollue moins, une barge permet de charger l’équivalent de plusieurs dizaines de camions, c’est moins cher, et le transport public régulier de passagers par les voies maritimes et fluviales est aussi de plus en plus en vogue dans de très nombreux pays, plusieurs projets sont très sérieusement à l’étude, notamment pour la Seine à Paris, mais aussi sur les 4 autres grands bassins fluviaux du pays : Rhin, Nord, Moselle et Rhône-Saône. La conséquence, c’est que les métiers associés, et encore peu connus, vont se développer : capitaine fluvial, commissaire de bord, timonier, matelot… ».
Avec seulement quelques 5000 péniches en circulation aujourd’hui, la marge de manœuvre est importante et le trafic pourrait facilement être multiplié par 10 dans les années qui viennent. « Le fluvial a longtemps été le parent pauvre de la logistique et du transport, on l’a vu avec le report maintes et maintes fois du projet de Canal Seine-Nord, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui car de plus en plus, le discours politique montre un regain d’intérêt pour le multimodal et particulièrement ce mode d’acheminement écologique des achalandages », selon les Voies Navigables de France. « De grands groupes de distribution comme Casino se font aujourd’hui livrer par la Seine de préférence à la route, et c’est un choix judicieux. Des prototypes de bateaux électriques sont aussi testés dans plusieurs grandes villes européennes pour le transport de passagers. De nombreux marchés sont aussi en progrès significatifs sur le fluvial, comme les produits métallurgiques, + 12% en 2017, les produits chimiques, + 9% en 2017, les engrais, +30% en 2017, les conteneurs +6% en 2017».
Dans une note de synthèse, le service économie et statistiques du ministère des Transports écrit : « A l’heure du développement durable, la voie d’eau dispose d’atouts importants : prix compétitifs, réserves de capacité et délais fiables. Sa faible consommation d’énergie, son intégration dans les paysages, sa grande capacité lui permettant de pénétrer au cœur des villes, en font un mode respectueux de l’environnement. Ces avantages du mode fluvial qui pourrait aussi permettre de désengorger certains axes routiers suscitent l’intérêt des autorités françaises et de la Commission européenne ». Sur le plan environnemental, en 2017, l’Observatoire National des Voies Navigables estime que 10 millions de tonnes transportées par voie d’eau représentent une économie carbone de 500 000 camions qui n’auront pas circulé pour transporter les marchandises acheminées par les fleuves.
« Permettre à ce mode de transport, à la fois pour le fret et pour les passagers, de se développer est aujourd’hui clairement une priorité pour nous », estime un membre de cabinet du ministre de l’économie à Bercy. « Les politiques économiques et de transport de ces prochaines années devront inciter à recourir au fluvial, y compris pour les livraisons en centre-ville : Paris et Strasbourg possèdent déjà leur port fluvial autonome, mais de très nombreuses villes en ont le potentiel et disposent déjà d’une base fluviale ou d’un port. En partenariat avec les entreprises, qui prennent de plus en plus conscience de la pertinence économique de ce type d’acheminement des marchandises, et avec les municipalités, les départements, les régions, l’Europe, il faudra permettre les investissements de réhabilitation des berges et des canaux, leur modernisation, ainsi que celle des flottes ».
L’entreprise Socomac, filiale de Soufflet Groupe, deuxième exportateur de céréales en France, a ainsi augmenté la part de transport fluvial de 30 à 50% depuis quelques années pour son activité : « Cela met davantage de temps que le routier, mais on fait plus de volume d’un coup, donc on rentabilise à la fois par la quantité en une fois et par le coût, divisé par deux », explique le directeur. Commandant de bord de péniche depuis 38 ans, Laurent a embauché 5 hommes d’équipage l’année dernière et racheté un bateau ultra moderne pour faire face à la demande. Mais s’il reconnaît que l’activité est très bien repartie depuis l’année dernière, il sait aussi que ce ne sont que des balbutiements, et que le potentiel est énorme : « Les bateaux comme le mien sont encore sous-utilisés : chaque jour les dockers chargent près de 2000 camions contre une barge toutes les 48 heures, la Seine pourrait accueillir au minimum 4 fois plus de péniches. Pour un trajet le Havre Paris, il faut une quarantaine d’heures de navigation, seulement 3 heures par la route, du coup les clients hésitent encore à franchir le pas. Mais ils sont de plus en plus nombreux, parce que c’est très rentable et très efficace, pour peu qu’on sache s’organiser et prendre en compte ces délais dans le planning de roulement. C’est une question de compétences logistiques, mais si les plannings sont bien faits, c’est aussi performant que la route ».