Gilets jaunes : mareyeurs et pêcheurs victimes de la crise avant les fêtes
0 commentaire Marie MEHAULT
14 déc. 2018La clientèle est inquiète, et préfère commander ailleurs qu’en France les produits de la mer destinés aux tables des fêtes pour la fin de l’année. Une inquiétude, directement liée au mouvement des gilets jaunes, qui dure maintenant depuis plus de trois semaines (lire notre article). Sur les ports, les professionnels de la mer sont divisés, entre dockers partisans de la poursuite du mouvement et actifs participants aux blocages et aux manifestations, et en face, les pêcheurs et les commerçants, impactés de plein fouet par les répercussions économiques : « les clients voient qu’on se rapproche de Noël et du réveillon, et que la crise n’est toujours pas réglée en France », explique un pêcheur finistérien. « Ils voient que les discours et les promesses de réforme de l’exécutif français ne sont pas suivis d’effets et ne calment pas la colère des manifestants. Ils se disent que cela va durer, se cristalliser, et redoutent de ne pas être livrés à temps. Alors ils préfèrent annuler et passer commande ailleurs, auprès des pays de la mer du nord ou de l’Angleterre ».
« Entre le 17 et le 30 novembre, on a fait un tiers de chiffre d’affaires en moins par rapport à une fin d’année traditionnelle. En décembre, sur les quinze premiers jours, on est déjà à près de 75% de chiffre d’affaires en moins. C’est une catastrophe économique, je ne sais pas comment les petits patrons pêcheurs et les petits mareyeurs vont faire pour boucler leur année, je pense qu’ils seront nombreux à risquer le dépôt de bilan », regrette un responsable de la Chambre de Commerce et d’Industrie Grand Ouest, à Rennes. « L’économie de la mer est directement impactée par cette crise des gilets jaunes et nous sommes désormais de plus en plus nombreux à devoir mettre une partie de nos salariés au chômage technique », témoigne de son côté un pêcheur de Granville, dans la Manche. « Les blocages sont hyper soutenus en Normandie et en Bretagne, on ne peut pas les contourner, que ce soit Caen, Rennes, Lorient, Quimper, c’est la même chose, ou encore Le Havre, Cherbourg, ou dans le Nord Calais, Dunkerque ou Boulogne ».
Et quand les professionnels de la pêche et de l’aquaculture sont frappés par ce type de crise économique, c’est toute la filière qui en pâtit : les criées, les marchés de gros, les poissonneries, les usines de transformation, les distributeurs, les restaurateurs… des milliers d’emplois sont touchés par le chômage technique, les mesures financières pour tenter de limiter le mal (annulation des primes de fin d’année, du 13e mois, des intéressements ou participations…). Et à terme, redoutent certains, par des licenciements ou des plans de départ dans les TPE et les PME qui ne réussiront pas à surmonter leurs difficultés de trésorerie. « Les secteurs du frais sont forcément encore plus impactés que les distributeurs de produits qui se conservent mieux », explique un ostréiculteur de Cancale. « Nous devons envoyer les commandes au jour le jour, pas de stockage possible pour les huîtres, les coquillages, les homards, les Saint-Jacques ou les tourteaux. Or, ce sont les produits les plus demandés au mois de décembre, forcément, ce sont des produits de fête. Le souci, c’est que les gens en consomment moins le reste de l’année parce que ce sont des mets luxueux que l’on ne s’offre que pour les occasions. Et les occasions, elles sont en train de nous passer sous le nez et de faire couler la caisse ».
Les professionnels de la mer, comme les commerçants et les distributeurs français, commencent à se regrouper en collectifs pour tenter d’organiser des contre-manifestations, en protestation contre les blocages des gilets jaunes. Ils appellent instamment ces derniers à trouver d’autres moyens d’action que la paralysie économique, et demandent aussi une aide de la part des pouvoirs publics et des collectivités : « comme les transporteurs sont eux-mêmes victimes des blocages, ils se déchargent de toute responsabilité sur les retards de livraison ou d’achalandage, puisque c’est une cause extérieure et indésirable qui n’est pas de leur fait. Du coup, on n’est pas indemnisés pour les pertes subies, et cela n’est pas pris en compte par les assurances qui considèrent que ce type d’aléas conjoncturel font partie des clauses d’exclusion indiquées sur les contrats », explique le patron d’une entreprise de transformation de poissons. « Tout le monde souffre : les pêcheurs et les éleveurs de produits marins qui se retrouvent avec des tonnes de marchandises de valeur sur les bras, et des stocks périmés bons à jeter ; et de l’autre côté des distributeurs et des consommateurs dont les rayons et les assiettes sont vides. Il y a urgence à ce que cela cesse », conclut l’association du grand littoral atlantique.