Entre sécheresse et inondations : le climat bouscule le fret fluvial en France
0 commentaire Marie MEHAULT
25 oct. 2018C’est du jamais vu : depuis le mois de septembre, le trafic fluvial a baissé de 25% sur le Rhin, à cause du niveau du fleuve touché par la sécheresse : pour ne pas s’échouer, les péniches sont contraintes de remplir leurs cales de seulement un tiers de leur capacité, tandis que plus à l’est, le Danube est descendu jusqu’à 60 centimètres à peine. Même chose du côté de l’Elbe, qui dessert Hambourg, l’un des plus importants ports d’Europe. Résultat : les gros bateaux sont gênés dans leur parcours et sur les docks, à Cologne comme à Strasbourg, des milliers de conteneurs sont stockés, les uns sur les autres, en attendant que l’eau remonte pour pouvoir être acheminés vers Anvers ou Rotterdam.
« La sécheresse estivale qui se prolonge encore jusqu’à l’orée du mois de novembre, c’est inédit et c’est un handicap majeur pour le fret fluvial, totalement dépendant du niveau de l’eau, évidemment. Les fleuves sont descendus à des niveaux historiquement bas, dans les régions concernées, et les transporteurs spécialisés sont contraints de s’adapter, mais là on arrive à un stade inquiétant, on ne peut pas reporter indéfiniment les livraisons, ou les transférer sur la route ou le fret aériens, ce sont de trop grosses quantités et le fluvial offre le meilleur rapport quantité / qualité de service / prix », analyse l’Institut Supérieur du Transport et de la Logistique Internationale.
Les liaisons ferroviaires prennent aussi largement le relais, mais les infrastructures ne sont pas à la hauteur des besoins du moment. D’autant qu’une bonne partie de l’UE est concernée par le problème : partout, après des mois avec des températures frôlant les 30 degrés, il faudrait des épisodes pluvieux très longs et très intenses pour rétablir la situation et un niveau suffisant des fleuves pour retrouver un trafic fluvial satisfaisant. Plus du tiers du fret fluvial européen de marchandises passe par l’axe est ouest chaque année, plus de 150 millions de tonnes de produits finis, en vrac, ou de matières premières, selon la CCNR (Commission Centrale pour la Navigation du Rhin). Mais la situation pose aussi problème pour le transport de passagers par les fleuves. Le Danube, par exemple, est extrêmement fréquenté par les navires qui emmènent les touristes jusqu’à la Mer Noire en passant par Vienne, Bratislava, Belgrade, Budapest…
« Il y a les secteurs où le fret fluvial pâtit de la sécheresse, mais il y a aussi l’extrême inverse : dans les zones inondées ces derniers mois, les vraquiers sont paralysés autant que dans les zones à sec », explique la Chambre Nationale de la Batellerie. « Quelle que soit la cause météorologique qui oblige au chômage technique, les pertes sont au moins de 5000€ par bateau et par semaine, pour les transporteurs. C’est une moyenne, certains souffrent plus que d’autres en fonction de leurs zones de navigation privilégiées. Pour les très gros vraquiers, ça peut passer à 10 000 € de pertes hebdomadaires ». Si le réchauffement climatique ouvre parfois de nouvelles perspectives pour le fret maritime (voir notre article), il met aussi les transporteurs de la mer et des fleuves face à leurs responsabilités : les 173 pays de l’Organisation Maritime Internationale se sont réunis il y a quelques mois pour étudier des solutions, dans l’objectif de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre des navires, qu’il s’agisse de transport de passagers ou de transport de containers. Car si rien n’est fait, d’ici 2050, ce type de transport pourrait représenter 25% des émissions globales chaque année… soit l’équivalent de 200 centrales à charbon !