Dauphins et captures accidentelles : les pêcheurs agissent pour que cela cesse
1 commentaire Marie MEHAULT
14 mars 2018Sur les plages de la Côte atlantique française, c’est désormais une scène presque banale : depuis début 2018, en moins de trois mois donc, près de 300 dauphins échoués ont été répertoriés, et 7 mammifères sur dix portaient sur le corps des traces de capture accidentelle. « On sait depuis des années, depuis bientôt 20 ans, que le chalut pélagique est impliqué », explique Vincent Ridoux, de l’observatoire Pélagis, dédié à l’observation et à la conservation des mammifères et des oiseaux marins.
Le chalut pélagique, c’est une sorte de filet introduit par les pêcheurs français au début des années 1970. « En forme d’entonnoir avec une large ouverture, il est lesté par une gueuse en partie basse pour le travail en pleine eau », explique le Corepem, le Comité Régional des Pêches et des Elevages Marins des Pays de Loire. « Cela permet de filer le chalut à la profondeur voulue pour pêcher les poissons en bancs ». Problème, dénonce l’association Sea Shepherd, « chaque année entre janvier et mars, sur les seules côtes de Charente Maritime et de Vendée, les chalutiers pélagiques pêchant le bar tuent entre 6500 et 10 000 grands dauphins ». Dans une campagne intitulée « comment la France extermine ses dauphins », l’ONG publie des vidéos réalisées à bord de son navire patrouilleur, le Bob Barker : on y voit notamment un chalutier pratiquant la pêche au pélagique et remontant dans son filet un dauphin.
« L’ensemble du monde maritime professionnel ainsi que les ONG et les pouvoirs publics savent que les coupables sont les chalutiers pélagiques », explique Olivier Blanchard, coordinateur Sea Shepherd pour la Vendée. « En 48 heures nous avons pu le prouver, en documentant une capture de dauphin par les chalutiers pélagiques de Saint-Gilles Croix de Vie ». Une manière de faire qui a fortement déplu aux professionnels de la mer : « Franchement c’est un coup de poignard dans le dos. C’est comme si vous étiez sur une autoroute en attendant de pouvoir filmer un accident, là cette association patrouille une nuit entière en attendant de pouvoir filmer une capture. Un pêcheur qui a trente ans de métier est aujourd’hui montré du doigt et traité de tous les noms », a réagi José Jouneau, président du Comité Régional des Pêches et des Elevages Marins. « La côte atlantique recense trop de cadavres de dauphins, c’est vrai, mais il faut contextualiser et comparer : en Méditerranée par exemple, sur le territoire maritime du Golfe du Lion par exemple, 10 000 dauphins sont recensés chaque année, et seulement une dizaine d’individus s’échouent ».
Si la filière réagit face à ces accusations, c’est aussi parce qu’elle tente d’agir pour améliorer son fonctionnement de manière à mieux préserver les espèces protégées : depuis plus de 12 ans, les représentants des pêcheurs français travaillent en partenariat avec Natura 2000, et participent à des réunions sur l’environnement et la gestion des ressources de pêches. En consultant les archives du réseau, dédié à la faune et à la flore des sites naturels ou semi-naturels, on s’aperçoit que depuis au moins 2006 des réunions de travail intitulées « pêche professionnelle et biodiversité » ont régulièrement lieu, pour « favoriser le maintien de la biodiversité dans une logique de développement durable en partenariat avec les acteurs sociaux-économiques » ; que sur plus de 200 sites, tout ou parti marins, pour une superficie de près de 20 000 hectares qui va jusque 10 kilomètres environ au large (6 milles marins) et 100 mètres de profondeur, des comités de pilotages définissent régulièrement des objectifs précis en concertation avec les acteurs locaux, dont les pêcheurs, pour respecter des enjeux de conservation et de gestion du patrimoine naturel.
Toujours en consultant ces archives de Natura 2000, on peut lire encore que le grand dauphin est systématiquement indiqué « espèce prioritaire », et que depuis plus de dix ans, les pêcheurs fournissent de gros efforts pour adapter leurs activités à ces objectifs et ces enjeux de préservation des espèces : « ils participent à des inventaires biologiques et sociaux-économiques, à des conventions de méthodologie d’évaluation des risques des activités de pêches, à des expertises pour définir de nouvelles mesures », explique ainsi l’Observatoire SIH (Systèmes d’Informations Halieutiques). « Ils se sont pliés à la délimitation de zones de pêche protégées, à une obligation de plans de gestion pour chaluts, sennes, ganguis, dragues ; il a été question de mettre en place un fichier national navires-activités, pour l’établissement d’un inventaire européen ; puis des récifs de protection contre le chalutage côtier illégal. Ils ont renoncé aux caisses en polystyrène non recyclable pour des matériaux plus durables, ils ont participé à des mesures de préservation du corail et de certaines roches ; ils ont accepté de limiter la longueur et la hauteur de leurs filets, leur durée de trempage, et d’en adapter le maillage selon les espèces cibles ; ils participent, enfin, au rejet de certaines espèces protégées dans des réserves spécifiques, et sont des acteurs incontournables de veille, capables de signaler aux autorités et organismes compétents les changements du milieu : pollution, paysages sous-marins, surmortalité ou apparition d’espèces… ».
« Les pêcheurs ont longtemps dénié l’importance des prises accidentelles de dauphins dans leurs filets, mais depuis quelques années, ils manifestent une vraie volonté de travailler avec nous et de trouver des solutions pour éviter ces captures accidentelles de grands mammifères marins dans leurs filets », appuie le CNRS (Centre National de Recherche Scientifique). « Les fileyeurs et les chalutiers sont nos partenaires, notamment dans l’élaboration d’outils pour repousser les mammifères marins loin des filets, notamment dans le domaine de l’acoustique. Nous avons mis au point par exemple ce que l’on appelle les pingers, des répulsifs acoustiques, qui émettent des impulsions sonores faisant fuir les dauphins et les marsouins loin des zones de pêche. Des groupes de travail sont en place et les pêcheurs y ont une grande part ».
Il faut enfin rappeler que la mortalité des dauphins n’est pas, loin s’en faut, uniquement due aux pêcheurs : « la plupart du temps, l’échouage peut aussi venir de perturbations sonores, de produits chimiques comme le mercure ou le plomb, le mauvais temps, etc… les collisions avec les navires et les filets sont une cause parmi d’autres », précise l’Ifremer, l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la Mer. Les ministres de l’agriculture et de la transition écologique ont par ailleurs assuré, la semaine dernière, que la France restait mobilisée pour limiter ces captures accidentelles.
Nous observons attentivement ce qui se passe depuis quelques semaines avec la campagne de désinformation de l’ONG citée, dans le sillage de laquelle se sont engouffrées d’autres associations. Nous alertons depuis de nombreuses années sur le tribut que doit payer la faune marine aux activités anthropiques et nous ne désignons pas un responsable plutôt qu’un autre parce qu’avant de conclure, il faut avoir des preuves. Dans le domaine qui nous intéresse, ces preuves s’appellent des rapports d’autopsie. Or la France n’a jamais imposé de rapports d’autopsies. Dans sa circulaire de 1992, elle parle de « prélèvements » (qui complètent une autopsie lorsqu’ils s’agit d’organes lésés), confiés au RNE, chapoté par le CRMM (association loi 1901) devenu Pélagis, et pour cause, la pratique d’autopsies relève de la profession vétérinaire et d’aucune autre. Quand les journaux vous parlent d’autopsie, si c’est pratiqué par un biologiste (dans le meilleur des cas car ce sont souvent des bénévoles qui font de la découpe et pas forcément proprement), cela porte le nom de dissection. La différence entre les deux : l’explication potentielle (car tous les rapports d’autopsie ne permettent pas de conclure, malheureusement, cela dépend de l’état de la carcasse et d’autres paramètres que nous ne détaillerons pas ici) de l’origine de la mort.
Voir des traces de capture par un examen externe ne permet pas de conclure. Il donne des indications qui ne sont pas des preuves. Exemple simple : imaginez un automobiliste lancé sur l’autoroute à 130 km/h. Il fait une crise cardiaque. Son véhicule finit encastré sous un camion. Les pompiers le ressortent de là sans vie. Qu’est-ce qui l’a tué : l’infarctus ou l’accident ? C’est à cette question que répond une autopsie.
En ce moment, la côte méditerranéenne voit s’accroître le nombre de dauphins bleus et blancs échoués. Cela a commencé par la Toscane puis la France et l’Espagne à peu de jours près. Certains dauphins qui s’échouent vivants présentent des symptômes neurologiques. Que fait la France pour ne serait-ce savoir ce qui se passe ? Réponse : strictement RIEN.
Pour quelle raison n’existe-t-il pas d’autopsie ? Le RNE s’appuie dans sa grande majorité sur des bénévoles. Les compétences d’un vétérinaire se payent et l’Etat n’a aucune intention de financer des professionnels ni même des analyses de laboratoire (complémentaires des autopsies).
En conclusion, les pêcheurs sont un bouc émissaire idéal qui occulte d’autres acteurs auxquels il ne faut surtout pas toucher. C’est pratique, ça fait les choux gras de mégas ONG mais ce n’est pas par cette voie que la biodiversité sera protégée. On ne cherche à blanchir ou à accuser qui que ce soit mais soyons réalistes, quand on veut vraiment agir efficacement à la résolution d’un problème, on commence par en déterminer l’origine, et ce, de manière objective, donc scientifique. Et la France n’est absolument pas mobilisée.